Un Nouveau Régime
Le challenge du jour !
Pour le fanzine Bordelais Zymase fraîchement crée, j'ai décidé de m'inscrire en tant qu'auteur pour cette association de jeunes bordelais avides de bières au caramel. Cela ne pouvaient êtres que des gens biens. Ainsi, pour le Zymase n°1 le thème était "Les Légumes"... Aussi incongru que cela puisse paraître, je devais pondre un texte sur ce thème... j'ai donc décidé de faire une parabole, nous autres étant les légumes et le vieux pouvant symboliser tour à tour, un président, un bourreau, un executeur.... le tout inspiré du Roman Inachevé de Louis Aragon qui avait illustré l'Affiche Rouge... bonne réfléxion...et dites moi si le pari du légume est bel et bien réussi ou si je me suis fourvoyée...
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Un Nouveau Régime
« Mangez 5 fruits et légumes par jour »
La sentence venait de tomber comme un économe sur la tête poussiéreuse d’un radis osant à peine émerger de son cocon terreux. Et bien que ses racines commençaient à craindre le gel et l’humidité trop pressante, le pauvre petit légume frémit de peur en lisant l’affiche placardée près de la serre.
« Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes…. » [1]Murmura le vieux laboureur en bourrant sa pipe, narguant le fier potager frissonnant agréablement sous les premiers rayons du soleil.
Mais il ne peut se douter du ballet frénétique qui s’opère sous les serres blanches et étouffantes.
Le capitaine patate dont une excroissance terreuse formait un képi, bombait son torse grêle devant une assemblée médusée, gorgée d’eau, avide d’engrais pour croître toujours davantage.
Le potager se voyait depuis quelques jours le théâtre de l’organisation d’un nouveau régime, le dernier gouvernement étant passé au presse-purée après avoir été sauvagement scalpé, pelé, découpé, vidé, décharné.
Les jeunes pousses n’avaient pu échapper à l’horrible vision de leurs pères mutilés, jetés comme de vulgaires immondices dans des containers, attendant que la putrescence vienne achever l’œuvre du bestial humain.
Le capitaine patate gonfla ses scrofules vertes et dit :
_Il est temps d’assurer enfin notre pérennité et je propose que nous établissions un nouveau gouvernement pour parer le sort funeste qui nous attend. Voyez ce que l’homme a fait à vos pairs pour sustenter ses délires morbides ! Voyez ces peaux arrachées, ces vies brisées…
Un murmure s’éleva de l’assemblée suivit de rires nerveux de la part d’une rangée de salades au premier rang.
_Qu’est-ce qui vous fait rire ? Morigéna le capitaine patate.
La frisée se leva sous les gloussements de l’une des ses amies et annonça d’une voix monocorde :
_Tout ceci est ridicule ! Nous sommes des légumes, des êtres voués à engraisser des êtres plus forts. Toute révolte serait vaine ! Attendons de voir ce que le sort nous réserve. Peut-être le vieux nous aura t’il oublié !
_Par tous les petits pois, c’est avec ce genre de discours que nous ne nous déferons jamais de cette suprématie ! Vilipenda une vieille tomate à la robe d’un rouge vif
_Oh merde, le vieux gaucho qui la ramène ! Calmez-le ! Baisse ta bêche et ta truelle, elles te serviraient à rien ! Hurla le capitaine.
La foule n’avait de cesse de regarder la section tomate haranguer véhément sur les propos mièvres et convenus de la jeune frisée. Le tohu-bohu s’éleva sous cette serre, sous le regard atterré de la vieille patate qui tentait vainement de calmer l’ensemble des protagonistes. La terre qui se détachait de sa robe, décollait de temps à autre sa peau et qui plus est, sans qu’il ne le sente tant le charivari alentours l’absorbait. Voyant que tout ne s’était pas calmé de longues minutes plus tard, le capitaine retourna dans le sol.
Aussi l’assemblée fut-elle levée.
_ « Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant mais à l’heure des repas, des doigts errants avaient écrit sous vos photos[2] « Bon pour la santé, plus d’engrais, c’est manger plus » Soupira le vieil homme en regardant tomber le crépuscule.
***
Lorsque le morne matin arriva, la populace de terre se réveilla au son du plastique que l’on relève. Le vieux était là, jambes arquées comme s’il fut élevé sur un tonneau, menton en galoche, la cendre s’évadant de la pipe.
Il arrosa d’un geste maladroit l’ensemble du territoire et tata les légumes qui bientôt seraient convoqués à sa table.
Satisfait de la récoltait qui s’annonçai prochainement, il repartit, son dos voûté comme d’antiques nefs.
Le capitaine patate s’arracha à la terre et bondit au sol, aidant carottes et blettes à faire de même.
La situation devenait de plus en plus critique, ainsi décida t-il de réveiller les derniers lèves-tard. Il s’empara d’un escargot terrassé par des cachets d’ecstasy bleu, brisa la coquille et souffla dedans. Cette corne de brume finit par faire remonter les autres patates et éclore les salades tandis que les pois grommelaient en tentant de s’extirper de leurs cosses peu loquaces.
_Elire un gouvernement responsable contre la dictature de l’économe et du pluche !
Patate vociférait, soulevant de temps à autre ses yeux noueux au grand dam des spectateurs malgré l’engourdissement suscité par la douche froide.
Dans la journée, le gouvernement fut élu, à la hâte certes, mais le peuple du potager avaient enfin des représentants qui les aideraient à fuir le vieillard prolétaire avide de soupe.
Et tandis que tombait le jour, certains crurent entendre au loin, le bruit du couteau qui s’abat sur le bois, tel un couperet. D’autres tressaillaient dans leurs cocons douillets de feuilles et de chlorophylles, se nimbant voluptueusement dans leurs cosses, loin de se soucier de l’avenir, aussi funeste soit-il.
Le soleil venait à peine de se lever quand le vieux jardinier débarqua avec son panier et souleva la serre, les yeux vils et cruels, luisant étrangement.
***
Déjà vous étiriez vos racines noueuses, pleins de joie à l’idée de pouvoir boire et humer les effluves du plein air. Mais lorsque vous avez senti le sang de vos pères, le crissement lugubre de la tige que l’on écarte d’un revers de main, le bruit sourd de vos agonisants balancés sur l’osier, vous trembliez, vous cachant, incapables de fuir, honteux d’avoir attendus trop longtemps face à la suprématie du plus puissant.
Longtemps vous les avez entendus crier sur le chemin qui les séparait de la vapeur meurtrière d’une marmite sur le gaz.
Vous avez pleuré des larmes vertes, des larmes d’enzymes dévalant vos corps imparfaits, de terre et gorgés de sucs. Vous avez souffert les membres arrachés à la lueur du couteau de ceux qui étaient votre. L’eau de leurs veines à coulé, se glissant dans les restes de leurs corps émiettés.
Vous avez fermé les yeux, amis légumes, tentant de percevoir au-delà des cris, la mélodie du vent qui cogne la serre et fait trembler le fer.
La nature a reprit son cours, mais n’oubliez jamais en grandissant ce pour quoi vos pères sont morts, amis légumes. Journal d’un légume, mai 2007.
[1] Toutes les citations en italiques entre guillemets sont issus du « Roman Inachevé » de Louis Aragon illustrant l’Affiche Rouge « La Libération par l’Armée du Crime » , placardée en France lors de la seconde guerre mondiale.
[2] Id.