Le Port

Publié le par Oxymore

Décidément, je ne comprends rien à la mise en page de ce blog (je sais, j'aurai du passer mon C2I ^^ ) Voici un autre texte des Cabinets de Curiosités écrit en 2006 lors de vacances sur l'île d'Oléron.

Le Port

 

 

 

 

 

Ah ! La jetée, marées, filets lascifs.

 

La multitude des couleurs me fait croire à un Matisse ou un Derain sur le déclin tant la symétrie organisatrice est parfaite la décomposition de l’image s’étiolant dans toutes les lumières magiques du port.

 

Mais je ne suis ni en 1905 ni en Provence[1]. Ici, pas de rouge ou très peu, jaune, violet mais des camaïeux délicats de bleu et de vert qui se succèdent, s’alignent, se déclinent pour le plus grand plaisir des pupilles, comme si Kandinsky eut jeté un pot de peinture non à la face du public[2].

 

Au loin derrière, cafés et terrasses bondées bien que nous ne soyons encore qu’en basse-saison.

 

Bientôt une vague de touristes s’abattra sur l’île ravageant natures et coutumes et l’air pourtant si frais et si propice à combattre le goitre ne se chargera plus que d’huiles de beignets, crèmes solaires et autres graillons pestilentiels sous l’orchestration des pots d’échappements.

 

Adieu l’odeur si spéciale, certes peu ragoûtante mais conférant tout le charme du petit Port de pêche : le fumet du poisson fraîchement débarqué, mêlé au gazole des rafiots et d’autres machineries, des filets paresseux, alanguis dans leurs odeurs marinées.

 

Au soleil, c’est un défilé scintillant où l’écaille miroite et jongle avec la lumière : tout luit, poisse, surnage, brille, suinte alors que les mouettes balayent les airs attendant le moment propice pour nettoyer le sol des déchets marins.

 

Mais tout n’est pas bleu dans ce paradis des sens : au loin des baignassous[3] pleure la femme dont le mari ne reviendra pas, englouti dans les eaux. Peut-être le port présente t-il une mer d’huile, gazole et calme, mais au loin peut-être est-il une mer démontée, avalant vies et matières dans le rugissement des flots.

 

Les mouettes sont sur terre, il fait mauvais sur mer[4]. L’eve[5] se déchaîne sans que les homards de terrasse ne s’en inquiètent, affalés dans leurs transats dépareillés serrant dans leur pince un verre.

 

 

 

Le soir, c’est un tout autre spectacle. La ville est submergée par le sommeil mais le port, lui, veille. Il est là, dans le tintement lugubre des crochets métalliques qui en journée représentent de véritables carillons. La nuit, ils sont un glas qui glace le sang. Le clapotement contre la coque des bateaux renforce le malaise de ce silence animé. Seule dans le port, tout un imaginaire se met en branle, repensant à Hergé, Tinte et le crabe, me demandant si je ne vais pas finir enlevée et violemment larguée dans la cale d’un navire ! Mais tout n’est qu’un calme plat qui me décide à rentrer. Je passe dans la cour du petit chez-moi, loin des bruits glauque, accueillant avec ravissement le silence le plus complet avec juste en tête les dernières odeurs des poissons, de la suie et le clapotis de l’eau.

 



[1] Je fais référence ici à la période Collioure des deux hommes.

[2] Mention de Louis Vauxcelles, célèbre critique d’art du XX°, très conservateur et relativement peu enclin aux changements. « On eut dit un pot de peinture jeté à la face du public » pour désigner le fauvisme. Cité dans le Gil Blas.

[3] Baignassous : nom donné aux touristes par les Oléronais. Littéralement, le baigneur qui emmène les sous.

[4] Dicton de l’île.

[5] Eve :  L’eau en charentais

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K
Histoire de l'Art POWAAA ! J'adore ! Parce que pour comprendre tes textes, faut savoir, faut avoir assisté aux mêmes cours, vu la même chose au même moment avec la même intonation de voix du prof', soit monotone (ah, théorie de l'art moderne), soit plus engagée (parenthèse dans la parenthèse, perdons-nous allègrement dans le fil de ma pensée, si incongrue soit-elle) !<br /> Que de souvenirs maintenant que notre dernier cours, notre dernier exam d'Histoire de l'Art est derrière nous... À ces temps déjà nostalgiques, j'aimerais que tu nous composes une ode emplie de cadavres exquis, d'Echternach et de trumeaux trébuchants et tintibulants de leurs fières perles et pirouettes et autres kymations lesbiques...<br /> Merci pour cette année, gageons que l'année prochaine sera tout aussi enrichissante !
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M
Hergé, Tinte et le crabe! Mdr! Ke crois que tu a omis un petit quelque chose. peut-être tintin mais tinte et le crabe je connais pas! mdr.  En tout, c'est du bon boulôt. Je suis sur que tu vas trouver preneur un de ces 4! T'écris comme une vieille, mais putain que c'est bon! 8-)
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