Daphné

Publié le par Oxymore

Voila un texte écrit il y a déjà plus d'un an dans un style assez vieillot mais que j'apprécie. L'intrigue est trop convenue et on sait s'ores et déjà ce qu'il va se passer, de plus il y a une grosse erreur de ma part. Le nom du type de la fin ne devrait pas s'appeller Amour Sore mais bel et bien Apollon. Les amateurs de mythologies comprendront. Pour les autres, tapez Apollon et Daphné sur Google et revisitez le mythe grec. Déjà des salauds les mecs! ^^

Daphné

 

 

 

 

 

Il y a des lieux, des villages, des ruines que l’on croit maudits, habités par d’étranges figures qui déambulent tristement derrière d’opaques fenêtres.

 

Vingt-deux heures. Je sors enfin de mon travail, exténué, ramenant pour seul trophée un vieux journal du jour délaissé dans une rigole, brassé par les ordures. Ma foi, ça ira bien pour les nouvelles !

 

Je passe devant une vieille bicoque rafistolée en tout sens. Une épaisse fumée blanche s’en échappe. J’entends les cris d’un enfant qui rit comme un diable. J’ai toujours entendu dire que les gens qui vivent là sont fous.

 

La vieille horloge sonne vingt-trois heures alors que je chausse mes savates et m’affale dans mon fauteuil en bourrant ma pipe.

 

La nuit fut courte mais bonne, non point dérangée par quelques fiacres conduits par d’ivres conducteurs, toutefois.

 

Je me levais en savourant avec bonne humeur la journée de repos qui s’offrait à moi puis je décidais d’aller humer l’air de mon petit village, hagard  et rêveur, prêt à entendre toutes sortes de balivernes sortantes de la bouche d’un vieux rustre de café ou d’une vieille harpie dont la face s’apparente à une vieille pomme.

 

 

 

A peine étais-je sorti de mes pénates que j’entendais une voix bourrue derrière moi.

 

-Hey George !

 

Je me retournais et voyais le vieil Auguste accompagné d’une fort belle et jeune enfant habillée comme si elle allait à la noce.

 

-Comment vas-tu mon brave Auguste ? Et qui est cette enfant ? lui demandais-je.

 

-Ah ben…c’est d’ça qu’je voula t’parler mon bon Georg’ ! A t’on po trouvé la môme près de la cahute des aut’ fous ! Elle était seul’ et elle veut po parler la coquin’.

 

Jpeux po la garder  sous mon toit, j’ai pu rien à nous met’ dans le gosier avec ma bergère et mes drôles. Les temps sont durs hein ? Dit-il maladroitement, dans un français qui écorche mes oreilles.

 

-Qu’attends-tu de moi exactement l’ami ?

 

-Ben..jpensa à toué pour t’en occuper. Va t-on pas la met’ au couvent maint’nant. Lui faudrait la becquée à cet’ môme. Allons ! T’as bon cœur mon George !

 

 

 

J’acceptais sans trop y croire. Pourquoi Diantre avais-je dit oui à cette vieille mule d’Auguste ? Moi, vieille croûte sans femme ni enfants, éduquer cette drôlesse venue de nulle part. Quelle folie !

 

Elle lâcha la grosse patte de son sauveur et prit la mienne. Ma promenade se terminait ici ainsi que ma solitude. Je décidais de rentrer chez moi avec l’enfant, abandonnant mes rêveries.

 

La petite était grêle voire efflanquée, pale comme un linge. De longs cheveux blonds tombaient en cascade dans son dos alors que ses yeux étaient d’un vert foncé. Elle n’avait pas de prénom et encore moins de nom ;De plus, elle ne connaissait pas son âge bien que je lui  eut donné dix ans. Je décidais de l’appeler Daphné en souvenir de ma défunte mère.

 

Elle ne parlait guère et je me demandais si elle n’avait quelques problèmes de langage.

 

Daphné était intarissable en matière d’apprentissage. Elle dévorait les livres et m’impressionnait par son immense savoir. Lorsque je rentrais du travail, souvent elle était là, attablée à lire des livres mythologiques le plus souvent, la tête entre les mains.

 

 

 

Un matin, une nouvelle ébranla le village. Les habitants de la vieille maison abîmée s’étaient entretués pendant la nuit. Cela n’étonnait pas la masse villageoise mais tous regrettaient la mort du jeune enfant qui comptait onze ans.

 

 Les jours qui suivaient la mort de la famille furent consacrés aux interprétations diverses, de la spéculation réfléchie à la plus sotte suggestion à caractère méphistolique.

 

Daphné ne semblait pas être affectée par cette mort, bien au contraire. Elle affichait un étrange petit sourire et une lueur démente baignait dans ses yeux.

 

La petite passait tout son temps à étudier à la maison, refusant d’aller à l’école et se passionnait tout particulièrement pour l’étude des mythologies grecques jurant que plus grande, elle intégrerait la jeune école française d’Athènes.

 

 

 

Le temps passait et elle affichait quatorze printemps alors que je me rabougrissais au fond de mon fauteuil à la regarder éclore et devenir femme.

 

L’année de ses quatorze ans supposés, le brave Auguste et sa famille se faisaient assassiner. La police fut prévenue mais elle ne vînt pas, jugeant la mort d’une famille de « cul-terreux » sans importance.

 

Daphné n’eut même pas une larme pour celui qui l’avait recueillit quatre ans auparavant ni même ses enfants avec qui elle avait joué.

 

Je croyais fort qu’à passer son temps à observer et se délecter d’images de marbres ou de statues son cœur ne s’en fut transformé lui-même en quelques porphyres.

 

 Le jour de l’enterrement, elle vînt au cimetière vêtue de la robe blanche qu’elle portait le jour où Auguste l’avait trouvée. La robe était beaucoup trop petite et dévoilait de ce fait le fuselage nacre de ses cuisses provoquant de véritables cris de fureurs de la part des veuves du village. Les hommes, eux, convoitaient cet hymen à travers leurs regards lubriques. Accablé par la perte de mon ami, je n’avais pas le cœur de la renvoyer s’affubler de quelques chose de plus décent.

 

Quelques jours plus tard, une autre bonne famille mourrait sans qu’on ne sache pourquoi et surtout par qui ?

 

Daphné ne prit même pas la peine de se rendre à l’enterrement, restant concentrée sur un Guide de la Grèce d’un certain Pausanias en tapotant machinalement une vieille gargoulette.

 

Je me désolais de la voir si misanthrope à tel point que j’en venais à me dire qu’elle ne viendrait même pas à ma propre mise en terre lorsque je mourrai.

 

Novembre était là, paré de ses plus beaux ramages. Un nouveau carnage s’abattait sur la bonne vieille famille des Duchamp, lesquels n’avaient jamais eu aucun problèmes, lui travaillant dur, elle, brave et bonne ne s’étant jamais allée à lever la jambe avec un autre lorsque son bougre de mari partait suer sang et eau au labeur.

 

La mort de leur fils de quinze ans que Daphné connaissait ne l’affectait pas comme je m’en doutais.

 

Alors qu’une véritable psychose s’emparait du village, Daphné n’avait jamais eu l’air d’être plus sereine et paisible. Quant à moi, trop absorbé par mon travail et ma quête d’un jeune homme pour Daphné j’en oubliais les commérages incessants et les pronostics de la prochaine famille qui irait manger les pissenlits par la racine.

 

Certaines personnes avaient préférées fuir plutôt que d’avoir à courir le risque d’une mort qui pendait au-dessus de nous tous comme une épée de Damoclès.

 

 

 

L’année des quinze ans de Daphné, la famille Laudane disparue mystérieusement. Tous conclurent à une fuite délibérée de la famille bien que certains parlaient de spectres et autres fantômes.

 

Un jour que je rentrais de mon travail, je ne trouvais pas Daphné occupée à lire ou à brûler les parfums dans une cassolette orientale comme il lui arrivait de le faire.

 

Elle rentra deux heures après moi, à minuit, le rouge aux joues et me dit d’une voix dégingandée :

 

« Un homme m’a poursuivit lorsque je rentrais du lavoir cette après-midi. J’ai du me cacher jusqu’à maintenant ! »

 

Je ne la croyais pas mais je m’efforçais de ne rien dire qui aurait pu l'irriter ou la faire fuguer d’autant plus que quelques jours plus tard, je devais lui présenter celui qui serait son époux.

 

 

 

Le jour de ses quinze ans, elle se parut d’une robe de veuve ;

 

-Où diantre as-tu dégoté ça ?!

 

-Dans un tiroir de la femme Duchamp. C’était à sa mère je crois bien…me répondit-elle calmement avec un léger rictus.

 

 

 

La diablesse !La Sulfureuse ! Voler les affaires d’une morte ! Au lieu de l’éduquer, j’aurais du la ligoter et lui faire briquer le parquet de la maison en lui apprenant les rudiments de bonne conduite.

 

Bien que courroucé, je me décidais quand même à lui présenter l’homme que je lui avais choisi et qui portait le nom singulier d’Amour Sore. Il était grand, bien bâti avec de grands yeux gris, le front large, un sourire de chérubin et de beaux cheveux blonds. Son port était agréable et bien qu’il ne comptait  que dix-sept ans, son langage demeurait fort plaisant.

 

 

 

Daphné en le voyant entrer pâlit et se mit à trembler. Elle se leva brusquement de sa chaise et sortit de la maison en courant. Elle s’enfuit à vive allure vers un bois, poursuivit par le jeune Sore.

 

 

 

Plus jamais on ne la vit.

 

Les meurtres cessèrent.

 

Intérieurement, j’avais toujours su que c’était elle qui avait commis tous ces crimes. Je m’étais voilé la face me persuadant qu’une enfant ne pouvait faire de telles horreurs. Il y avait un point commun à ces familles : tous avaient un enfant du même âge que Daphné et tous pouvaient être prétendants à une noce. Amour Sore lui, n’était pas de notre village, elle ne le connaissait pas. Mais quand et surtout comment s’y était-elle prise pour les tuer? Comment auraient-ils pu se méfier d’une enfant ? Comment n’avais-je pu rien voir ? Aurais-je pu seulement l’en empêcher ?

 

Elle ne revint jamais et seul resta d’elle le souvenir de cette diablesse venue de nulle part.

 

 

 

« Anywhere out of the world…”

 

Publié dans Nouvelles de la Folie

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