Chapitre 1

Publié le par Oxymore

Chapitre 1 : Qui suis-je ?

 

 

 

Je m’appelle Sophie Fanke. 23ans , pas de mari et encore moins d’enfants : Jusque là, on peut dire que je me situe dans la normale.

 

Il y a trois ans de cela, je marchais tranquillement sur les chemins de la vie sans me poser jamais aucune bonne question ou du moins celles que tout étudiant post baccalauréat doit normalement se poser. Ma vie me semblait un lac flou et brumeux sur lequel je flottais sans même faire attention, me contentant de prendre ce que l’on pouvait et voulait bien me donner sans prendre la peine d’écouter mes envies. A 20 ans, je n’étais pas grand chose pour moi ni même pour les autres. Je ne veux pas dire non plus que je le suis plus à présent, seulement il est des faits et des actes qui nous font nous bonifier avec le temps…

 

Ce livre est un recueil de pensées et de vécus glanés au cours de mes propres expériences mais aussi et surtout grâce à l’écoute des autres qui malgré eux, ont donnés naissance à Sophie Fanke, figure de toute une génération de paumés…

 

 

 

Mais reprenons !

 

Je n’étais pas grand-chose me considérant tout bonnement comme un des milliards de chaînons remplaçables de notre société de consommation. En bonne travailleuse, mon quotidien se résumait à enfiler chaque seconde sur la funeste trame qui me servait de vie.

 

Je ne filais pas de mauvais coton  mais je n’avais aucun présage qu’il soit bon ou mauvais, seulement la terrible évidence de devoir passer ma vie derrière ces guichets loin du public, à trier de gros colis, à n’avoir pour seule compagnie que des murs décrépis, défraîchis, eux-même lassés par la monotonie et la rigidité des gestes.

 

Certes, je n’étais pas toute seule ! Il y avait la vieille Kathrin, née d’un père allemand et d’une mère française quelques années après la guerre et qui ne voyait désormais plus que le transat de la retraite miroitant devant ses petits yeux fatigués et son dos courbe.

 

Elle était bien brave la Kathrin à me raconter les malheurs de son enfance, de sa mère, le manque d’amour qu’elle n’avait eu de cesse de faire subir à son entourage. Mais elle n’en demeurait pas moins être une sacrée vieille chouette toujours prête à festoyer.

 

Puis il y avait Martine, mère de deux joyeux trublions, infatigable au travail qui ne pensait qu’à organiser des goûters anniversaires ou réaliser de petits napperons brodés mais qui se révélait être une garce finie. Toutes les trois nous travaillions en autarcie avec nous-même, loin de tout contact avec le public et derrière nos grilles d’amiante, nous étions comme des lionnes à qui l’ont auraient extirpé toute liberté jusqu’à la sainte pause déjeuner.

 

Les autres du centre de tri ou emballage, appellez ça comme vous voulez, nous ne leur parlions guère que Noël venu où tout le monde se retrouvait pour savourer trois pâtes de fruit autour d’un verre de jus d’orange bon marché en regardant les drôles des autres déchirer sans pitié des papiers cadeaux multicolores et de mauvais goût au matraquage publicitaire incessant. Avouez que cette phrase est d’une longueur digne de celle de  l’Heptaméron !

 

Enfin, ne nous éparpillons pas…

 

Mes amis ? J’en ai. Ou du moins j’en avais à l’époque. Mais comprenez bien une chose : c’est que lorsque l’on se destine à rentrer dans le monde du travail presque de suite après le bac, on creuse irrémédiablement un fossé -entre nos amis étudiants et nous même dans la vie active- devenant par la suite presque infranchissable. Et vous avez beau prendre une truelle, une pelle à tarte ou à terre, des machines gargouillantes pour remblayer, rien n’y fera car le monde est tel que les étudiants ne comprennent pas l’impérial besoin de quitter le cursus scolaire, de même que les travailleurs n’envisagent aucunement les études comme fondamentales pour démarrer dans la vie. Je n’oublie pas cependant les travailleurs par nécessité, leurs parents n’ayant pu leur payer les études.

 

Ainsi, dès lors que j’ai pu trouver mon job à 1100 Euros/mois,  j’ai bien évidemment sauté sur l’occasion et abandonné la fac après quelques mois plus ou moins réussi sans trop de motivation, soulageant par la même mes parents, gagnant mon indépendance et commençant sans l’aide de quiconque ma petite vie où je me voulais seule dirigeante.

 

Le jour où je décrochais mon contrat, je cru que je devenais seule maître à bord de mon navire de vie, à décider de petites choses obsolètes mais qui relevaient à présent de choix rigoureux fait par « myself ».

 

Ce jour là, je pensais pouvoir commencer à vivre comme la majorité, me faisant une joie d’endosser l’endocarpe des problèmes quotidien de l’employée et ainsi lorsque j’eus mon premier salaire, je me mit dès lors à acheter en conséquence, prenant un soin tout particulier à me faire plaisir que cela soit au supermarché en achetant des marques ou dans les boutiques de fringues, claquant mes Euros au rythme de mes coups de cœur, avec la vibrante pression du loyer à payer tout prochainement.

 

Ces petits riens réjouissaient mon existence qui jusqu’alors avait été régie par les parents, protecteurs et soucieux de la réussite sociale de la fille unique. Ils auraient tant aimé que je sois une studieuse étudiante, bardée de diplômes, posant fièrement -sourire émail diamant- avec un bout de papier aux lauriers dessinés en filigrane.

 

L’espoir du sang-neuf promu à un bel avenir post-baccalauréat…Ils n’avaient même pas envisagés l’espace d’une seconde que je ne voulais plus être un fardeau pour eux et que je me réservais un avenir que je désirais plus souriant et moins contraignant.

 

Mais ce que je n’avais pas prévu en visionnant mentalement le film de ma vie, c’était de perdre une majorité de ceux que je considérais comme amis. L’écrémage après terminale fut redoutable et d’autant plus après une année de fac riche en émotion et en liens crées grâce au physique malheureux de certains professeurs émérites.

 

 Nous étions tous dans la même galère à l’époque avec pour seuls soucis immédiats l’organisation incessante de fête chez l’un ou l’autre, voire éventuellement le soucis de l’examen arrivant pernicieusement, remémoré vaguement au détour d’une conversation alcoolisée.

 

Non. Je n’avais pas prévu que mes 1100 euros/mois étiolerait la nature de mes relations pourtant bien bâties sur le ciment du rire et de la complicité.

 

Je n’étais plus assez bien pour eux, n’ayant pas la prétention de devenir docteur ès- ou d’avoir même un « Vulgus Vulgaris » Master. Très peu pour moi passer ma vie à photocopier des bouquins, imprimer mes thèses qui n’intéresseraient personne.

 

Je voulais travailler et être utile enfin…Cette opportunité est venue à moi ; trop alléchée par le souffle d’encre des billets verts et oranges j’ai dit oui.

 

 

 

Je dus dire adieu à tous ceux que j’appréciais et avec qui je m’amusais si bien, insoucieuse et en n’ayant de responsabilités qu’envers moi-même. Je pensais sans doute qu’avec mon fric je pourrais cesser de faire miroiter tous ces espoirs qui me brouillaient la vue et annihilaient ma raison de même que ma conscience.

 

Les premiers mois de ce nouveau mode de vie furent cependant heureux : je continuais de fréquenter les étudiants, toute cette clique de joyeux lurons alternant discussion hautement élevées et techniques du roulage de joint ou règles de jeu stupide à base d’alcool. Je me plaisais à vivre encore partiellement dans cet univers, me sentant privilégié de cette double vie : partage de la connaissance tout en ayant une certaine aisance monétaire, cette dernière faisant horriblement défaut à tout étudiant qui se respecte.

 

La période des examens sonnèrent le glas de mes relations avec cet étrange monde fleurant bon la sueur des efforts intellectuels cumulés et les papiers neufs moulinant le savoir à mesure que la petite plume leurs grattaient la fibre.

 

Je les appelais grâce à mon forfait que je pouvais dépasser à présent, prenant de leurs nouvelles, la discussion tournant souvent court :

 

-Salut Marjo ! C’est Sophie ! Comment tu vas ?

 

-Ben ça va…et toi ?

 

-Le boulôt…c’est vivable…Quoi de neuf ?

 

-Je prépare les exams là. Avec la bande on va fêter ça plus tard et sinon voilà. Je cherche un taf pour cet été mais je suis en galère. Mes vieux me font la misère si je trouve rien. Et toi ?

 

-Moi je bosse cet été. Je prends une semaine en septembre histoire de profiter un peu de la mer et puis re-boulot…

 

-Ah…Bon, jpeux pas trop te parler là, je dois emmener mon frère à son cours de judo. Désolée. A bientôt Sophie. Bon courage.

 

-Merci, de même. Bisous

 

Tut Tut Tut…

 

Il y avait toujours un frangin ou une frangine dans les parages pour aider à avorter une telle discussion infertile. Ce n’était pas plus mal finalement.

 

Il y en avait bien quelques-uns qui n’avaient pas de frères ou sœurs…les grands-parents faisaient substitut ces jours là. Les jours où la brave Sophie Fanke appelait ses « amis », ils se souvenaient que près d’eux se trouvaient des gens de la « famille », enfin familis. Rendez-moi grâce vous tous, les papy Jeannot et mamies Odette : Grâce à Sophie Fanke, vos petits-enfants pensent à vous !

 

C’est ainsi que se passa les trois premières années de ma vie de salariée, parfaite employée, parfaite fée du logie dans mon 25m², parfaite consommatrice, mateuse, amatrice, touche-à-tout impulsive, armée de lubie dévastatrice pour un porte-monnaie plafonné.

 

Je gardais deux petits contacts de la fac, Johann et Amélie, que je revoyais assez souvent autour d’une pizza de ville et d’un sirop de grenadine.

 

Malgré tout, c’est sous les auspices 8h30/12h00  14h30/18h00 que je passais ces trois premières années avec toujours les mêmes règles de conduites inébranlables : sandwich sur le pouce le midi, et le soir boite indigeste  servie dans des assiettes en plastique pour éviter de salir un évier briqué nickel chrome.

 

A mesure que s’égrenait le temps et ma jeunesse, les 1100 euros, fortune colossale de début de vie se transformaient rapidement en quelques billets ternis par les illusions du passé.

 

Je me rendais bien compte que mes rêves d’indépendance et de conte de fée sauce XXI° siècles ne se révélaient être que des chimères brûlées dans le feu du désespoir.

 

Je ne m’apercevais pas à l’époque que mes habits devenaient de plus en plus grand pour moi alors que mon répertoire téléphonique se rétrécissait au fil des mois.

 

Pourtant, je ne me posais qu’une question, aussi juste soit-elle : Où serais-je dans cinq, dix, vingt, quarante ans ? Mes yeux ne brillaient plus de l’audace et des envies d’antan. Et du fond de ma gorge où se mêlaient les trémolos de ma voix, s’exprimait l’incommensurable douleur de la monotonie : « Ici » se révélait être la seule de mes réponses plausibles.

 

Bien sûr, je me serais bien vue sur la croisette au mois de mai, à sortir avec tout les plus beaux mecs de la planète, provoquer l’hystérie collective à chacune de mes manifestations physiques…

 

« Regardes-toi Sophie Fanke ! Crois-tu vraiment que quelqu’un aurait pu t’aduler dans tes baggy trop larges, tes cernes immenses, ton cou rachitique et tes illusions noircies par la réalité des choses ?».

 

Le pire, c’est qu’en ce temps là, jamais je ne me serais donné les moyens de palier ce manque sans non plus être pusillanime : je savais pertinemment qu’il n’appartenait qu’à moi de changer les choses. Mais…la monotonie demeure souvent bien plus confortable et plaisante que de remettre en branle une petite machine au repos depuis longtemps…trop longtemps.

 

Publié dans Le Jeu du rêve

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D
Me suis planté, j'ai cru que mon message s'y étais po mit. Dsl! <br /> Daxoooooooo
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D
So saaaad! So vrai!! J'aime comment t'écris! Vivement la suite, la suite! Tu l'as faite au moins? !! =}<br /> Daxoooooo
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D
So Saaad! Si vrai!!!!! J'aime comment t'écris = } La suite, la suite!!!
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